Traduction de Montague Rhodes JAMES - A warning to the curious 2ième partie

Publié le 28 Mai 2010

Suite de la traduction "A warning to the curious"

 

 

 

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Nous ne savions que dire mais étions prêts à l’aider de quelque manière que ce soit. Après ce que nous avions entendu, remettre la couronne en place était la chose qui s’imposait. Au vu des circonstances horribles qui se manifestèrent autour de ce pauvre homme, ne fallait-il pas en conclure que la couronne avait un réel pouvoir de protection contre les invasions comme le disait la tradition ?

C’était mon avis et je pense que Long le partageait. Notre offre, de toute façon a été bien accueilli par Paxton.

Quand pouvions-nous agir ? Il était près de dix heures et demie, prendre le prétexte d’une promenade tardive serait-il plausible pour le personnel de l’hôtel ?

C’était une nuit de pleine lune, Long a parlé au portier afin de lui expliquer et le rassurer : nous ne devions pas rentrer très tard mais si l’envie nous prenait de prolonger notre promenade, il ne devait pas rester à nous attendre. Comme nous étions des clients réguliers et plutôt appréciés par les membres du personnel, il l’a bien pris. Nous sommes partis en direction du front de mer pendant qu’il restait sur le pas de la porte à nous observer comme nous l’apprîmes plus tard, Paxton avait un ample manteau sur le bras dans lequel il avait emmitouflé la couronne.

Donc, nous voilà engagé dans cette course étrange, spontanément sans y avoir trop réfléchi. Tout a été fait avec hâte, sans prévision, dans le feu de l’action.

« Passer par la colline et le cimetière est le plus court chemin » a dit Paxton et quelques instant plus tard nous dominions l’hôtel, il n’y avait personne, absolument personne, Seaburgh hors saison étant un endroit tranquille.

Comme je suggérais de suivre le front de mer et de passer à travers champs, Paxton dit qu’il nous était impossible de longer la digue en passant par le cottage à cause du chien. Nous sommes donc allés par la route de l’église et avons tourné à la grille du cimetière.

J’avoue avoir pensé que ceux qui étaient couchés là pourraient avoir conscience de nos activités mais, si cela était, ils sauraient aussi que notre but était en leur faveur et que nous étions de leur coté ; mais nous n’avons vu aucun signe d’eux.

Par contre, nous nous sentîmes surveillés comme jamais auparavant, spécialement quand nous quittâmes le cimetière par un étroit chemin bordé de haies très élevées où nous nous précipitâmes, tel des Chrétiens fuyant la vallée de la mort, pour nous retrouver en plein champ, puis encore le long de haies qui me bouchèrent la vue et m’empêchèrent de voir si quelqu’un nous suivait.

Nous bifurquâmes vers la gauche pour rejoindre la crête qui finissait par le monticule.

Comme nous nous en approchions, Henry et moi sentîmes quelque chose comme une présence aux aguets qui nous attendait et donc la vigilance devint presque palpable.

Je ne peux vous donner qu’une petite idée de l’agitation de Paxton à ce moment là : il haletait comme une bête traquée et nous ne pouvions ni l’un, ni l’autre voir sa figure.

Nous n’avions pas imaginé comment il procèderait arrivé à destination et, de loin, tout semble plus facile : Il se jeta littéralement en un point sur le flanc de la colline et le creusa furieusement si bien qu’au bout de quelques minutes, une partie de son corps était hors de vue. Nous étions debout, tenant le manteau contenant le paquet de mouchoirs et regardant craintivement autour de nous.

Il n’y avait rien à voir : une rangée de pins sombres derrière nous comme ligne d’horizon, d’autres arbres et la tour de l’église à un demi-mile sur la droite, des cottages, un moulin au loin sur la gauche et la mer calme devant nous ; le faible aboiement d’un chien résonnant depuis le cottage sur la digue, le chemin côtier scintillant sous la lune, le bruissement éternel des pins au-dessus de nos têtes et le miroitement de la mer face à nous.

Or, au milieu de tout ce calme, une perception aiguë : l’âcre conscience d’une hostilité contenue tout près de nous, comme un chien féroce tenu en laisse pouvant être lâché à tout moment.

Paxton est sorti du trou et a tendu la main, « Donnez-la moi » a t-il murmuré « déballée. »

Nous ôtâmes les mouchoirs et il la saisit, le clair de lune tombait juste sur lui quand il nous l’arracha des mains, nous-même n’avions qu’à peine touché le métal, « Grâce au ciel » ai-je souvent pensé depuis.

L’instant d’après, Paxton rebouchait le trou de ses mains ensanglantées, il ne voulut pas de notre aide bien que ce fût le travail le plus long de tout remettre en place. Il y réussit pourtant admirablement, je ne sais comment, et parut satisfait, nous rebroussâmes alors chemin.

Nous étions à quelques centaines de mètres de la colline quand Long dit soudainement : « Vous avez laissé votre manteau là-bas, ne voyez-vous pas ? »

Je le distinguais nettement, un long manteau noir posé à l’endroit où avait été creusé le tunnel. Paxton continua, il se contenta de hocher la tête et leva la bras qui tenait son manteau. Quand nous le rejoignîmes, il dit sans aucune émotion comme si plus rien ne comptait : « Ce n’est pas mon manteau. »

En effet, quand nous nous retournâmes, la chose sombre n’était plus visible, nous avons regagné la route et sommes rentrés rapidement.

Arrivés bien avant minuit à l’hôtel, nous avons dit, essayant de faire bonne figure, qu’il était agréable de faire une longue promenade au clair de lune au portier qui était sur le qui-vive à nous attendre.

Il a jeté un dernier regard de long en large au front de mer avant de verrouiller la porte et a dit : « Je suppose que vous n’avez pas du voir grand-monde, Monsieur ? »

« Non, en effet, pas âme qui vive » ai-je répondu alors que Paxton me regardait bizarrement.

« Oh, je pensais avoir aperçu quelqu’un tourner après vous la rue de la gare » dit-il « mais comme vous étiez trois, je ne pense pas qu’il est eu d’attention malfaisante. »

Je ne sus quoi répondre, Long dit simplement « Bonne nuit » et nous montâmes, l’assurant d’éteindre les lumières et que nous serions au lit dans quelques minutes.

De retour dans notre chambre, nous avons tout fait pour rassurer Paxton :

« La couronne a retrouvé sa place, il est certain que vous n’auriez pas du y toucher » (il a acquiescé énergiquement) « mais aucun dommage réel n’a été fait et nous nous tairons afin que personne ne soit assez fou pour avoir la tentation de s’en approcher. D’ailleurs, ne vous sentez-vous pas soulagé ? Je peux vous avouer qu’à l’aller, j’étais enclin à rejoindre votre point de vue au sujet de – Hé bien – cette impression d’être suivi ; mais, au retour, tout allait mieux, n’est-ce-pas ? »

« Vous n’avez pas à vous inquiéter pour vous même » dit-il « mais, je ne suis pas pardonné ! je dois encore payer pour ce misérable sacrilège. Je sais ce que vous allez dire : la Foi peut m’aider. Mais, c’est le corps qui doit souffrir, je ne sais pas encore de quelle manière cela se manifestera mais … »

Puis, il se tut et se retourna pour nous remercier. Nous lui promîmes de continuer à nous voir : il pouvait, bien-sûr, utiliser notre salon privé, sortir ou jouer au golf en notre compagnie. Il répondit qu’il n’aurait pas la tête à cela le lendemain. Nous lui avons recommandé de se lever tard, d’attendre notre retour du golf dans le salon, nous ferions une marche plus tard dans la journée.

Il était très docile et prêt à suivre nos propositions mais manifestement, dans son esprit, il était clair que ce qu’il l’attendait était inéluctable.

Vous vous demandez pourquoi nous ne l’avons pas remis chez lui aux bons soins d’un parent ou d’un proche : le fait est qu’il était seul. Il avait eu un appartement en ville mais dernièrement, il avait pris la décision de s’installer en Suède. Il avait libéré son logement et expédié ses biens, son départ était prévu dans deux ou trois semaines.

Quoi qu’il en soit nous ne pouvions, pour le moment, rien faire de plus que d’aller dormir – ou ne pas dormir comme ce fus mon cas – et attendre de voir quel serait notre état le matin suivant.

Tout sembla différent le lendemain à la lumière de ce beau matin d’Avril, même Paxton semblait aller mieux quand nous le vîmes au petit déjeuner.

« La nuit la plus paisible que j’ai passé depuis longtemps » nous dit-il. Il allait faire ce que nous avions prévu : rester ici la matinée et sortir avec nous plus tard.

Nous sommes allés aux links, avons rencontré d’autres habitués, joué la matinée puis déjeuné assez tôt afin de revenir rapidement à l’hôtel.

Malgré cela, la main de la mort le rattrapa. Cela aurait-il pu être évité, je ne pense pas : son destin était scellé.

Voilà ce qui se passa : nous sommes allés directement à notre salon, Paxton était là lisant paisiblement.

« Prêt à sortir dans environ une demi-heure ? » demanda Long

« D’accord » dit-il

Je lui dit que nous allions d’abord faire un peu de toilette et nous changer avant de l’appeler dans une trentaine de minutes.

J’ai pris mon bain et me suis reposé environ dix minutes, Long et moi sommes sortis de nos chambres en même temps et sommes allés ensemble à la salle de séjour – Paxton n’était pas là, seulement son livre. Il n’était pas dans sa chambre ni dans les pièces du bas

Nous l’avons appelé, une servante est sorti et nous a dit : « Je croyais que vous étiez déjà sortis Messieurs, tout comme l’autre gentleman. Il vous a entendu l’appeler depuis le chemin là-bas et est parti précipitamment. J’ai regardé par la fenêtre du fumoir mais je ne vous ai pas vu. Toutefois, il est parti en courant vers le bas de la plage. »

Sans un mot, nous nous sommes précipités dans cette direction, c’était le sens opposé à celui de l’expédition de la nuit dernière.

Il était presque quatre heures et le temps était clair, pas autant que le matin mais il n’y avait aucune raison de s’inquiéter : avec les gens alentour, un homme ne pouvait tenter une agression.

Mais quelque chose dans notre regard, alors que nous courions vers l’extérieur, a du frapper la servante car elle est sorti sur le pas de la porte, a pointé du doigt et a crié : « Oui, c’est la direction qu’il a prise. »

Nous avons couru jusqu’au bout de la berge de galets et nous nous sommes arrêtés.

Il y avait plusieurs voies possibles : le long des maisons sur le front de mer ou sur le sable le long de la plage, la mer s’étant retirée et l’espace étant libre ; ou, bien-sûr, continuer sur la bande de galets entre les deux mais, y progresser était malcommode.

Nous avons choisi la plage, l’endroit étant dégagé, personne n’aurait pu surgir dans une attention malfaisante sans être aperçu de la voie publique.

Long dit avoir aperçu Paxton à une certaine distance en avant, courant et agitant son bâton comme si il voulait faire signe à des gens devant lui.

Je ne pouvais rien voir, une de ces brumes de mer montait rapidement du large. Une chose était sûr : la présence de deux personnes, il y avait des traces sur le sable de quelqu’un avec des chaussures et d’autres traces faites avant celles-ci – parfois recouvertes ou embrouillées – de quelqu’un qui n’en portait pas.

Oh, bien-sûr, vous n’avez que ma parole – nous n’avions ni le temps ni les moyens de faire un croquis ou un moulage et la marée suivante a tout effacé – mais la vue de ces traces nous a fait accélérer le pas, elles étaient là encore et encore et aucun doute n’était possible : c’était l’empreinte d’un pied nu dont on distinguait plus les os que la chair.

La pensée de Paxton courant après – après cette chose – en croyant avoir affaire à ses amis nous a fait dresser les cheveux sur la tête.

Vous devinez ce que nous imaginions : comment l’entité qu’il suivait pouvait stopper soudainement et se retourner vers lui, quel type de visage montrerait-elle alors à demi-caché par la brume qui devenait de plus en plus épaisse ?

 

Et pendant que je courais en me demandant comment ce malheureux avait pu être leurré au point de prendre cette chose pour nous, je me souvins de ses paroles : « Il a un certain pouvoir sur vos yeux ! »

Je me disais aussi qu’il n’y avait plus d’espoir, que sa mort était inévitable, bref, inutiles de citer les pensées tristes et horribles qui me traversèrent l’esprit pendant notre course à travers le brouillard.

Il était également étrange de savoir que le soleil brillait au-dessus de nos têtes et que nous ne pouvions rien voir. Nous étions juste sûrs d’avoir dépassé les maisons et atteint le fossé qui les sépare de la vieille tour Martello.

Vous le savez lorsque vous avez passé la tour, il n’y a plus rien hormis un chemin de galets – plus de maison, plus de créature humaine – juste une langue de terre ou plutôt de galets avec la rivière à votre droite et la mer à votre gauche.

Mais, si vous vous souvenez, juste avant, près de la tour Martello, il y a la vieille batterie près de la mer. Je crois qu’il n’en reste que quelques blocs de béton aujourd’hui tout le reste a été emporté mais, à l’époque, elle était en meilleur état même si l’endroit était en ruine.

 

Hé bien, arrivés à sa hauteur, nous avons grimpés à son sommet aussi vite que possible pour reprendre haleine et regarder vers les galets, si toutefois la brume nous laissait voir quelque chose.

 Nous avons d’abord soufflé : nous avions dû courir un mile au moins ; rien n’était visible devant nous et, d’un commun accord, nous avons décidé de descendre et chercher au hasard quand retentit ce que je peux n’appeler qu’un rire. Essayez d’imaginer un rire désincarné, sans vie, mais je doute que vous puissiez y parvenir.

Il venait d’en bas et s’éteignit progressivement, tourbillonnant dans la brume.

 

Cela a suffit pour que nous comprenions : nous nous sommes penchés au-dessus du parapet, Paxton était là au pied du mur. Je n’ai nul besoin de vous dire qu’il était mort.

 

Ses empreintes ont montré qu’il a couru le long de la batterie, a tourné au coin de celle-ci et s’est jeté dans les bras de ce qui l’attendait derrière.

Sa bouche était pleine de sable et de pierres et ses dents et sa mâchoire brisées en mille morceaux, Je ne pus regarder qu’une fois son visage.

 

Au moment où nous nous précipitions vers le corps, nous avons entendu un cri et vu un homme descendre de la terrasse de la tour Martello. C’était le gardien en poste et ses yeux vifs avaient pu se rendre compte à travers la brume que quelque chose n’allait pas : il avait vu Paxton tomber et nous avait aperçu, le moment d’après, courir vers le bas – une chance pour nous, cela a permis d’écarter la suspicion que nous pouvions être impliqués dans cette épouvantable affaire.

Nous lui demandâmes si il avait aperçu quelqu’un s’en prendre à notre ami ?

Il ne pouvait l’affirmer. Nous l’avons envoyé chercher de l’aide et sommes restés près du corps jusqu’à ce qu’ils reviennent avec une civière, c’est alors que nous avons retracé son parcours sur la frange étroite de sable sous le mur de la batterie. Le reste était en galets et il fut impossible de dire par où l’autre avait disparu.

 

Que devions-nous dire à l’enquête ? il était de notre devoir de taire le secret de la couronne afin qu’il ne soit pas divulgué dans les journaux. Nous nous étions mis d’accord pour dire ceci : nous avions fait la connaissance de Paxton la veille et il nous avait confié se sentir menacé par un homme appelé William Ager,  nous avions vu d’autres traces que celles de Paxton quand nous l’avions suivi le long de la plage, celles-ci avaient évidemment disparu avec la marée suivante.

Personne n’avait connaissance d’un William Ager vivant dans le district, la déposition de l’homme de la tour Martello nous a libéré de tout soupçons : l’enquête a conclu qu’il s’agissait d’un assassinat prémédité par une ou plusieurs personnes.

Paxton était tellement seul et sans relation que les enquêtes ultérieures n’ont jamais abouti. Je ne suis jamais retourné à Seaburgh ou dans les environs depuis ce jour.

Rédigé par Kako's World

Publié dans #Montague Rhodes James

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