Traduction de Montague Rhodes JAMES - A warning to the curious 1ère partie

Publié le 26 Mai 2010

 

N'ayant pas jusque là réussit à trouver le livre en français regroupant l'intégral des ghost stories de Montague Rhodes James paru chez le défunt éditeur NEO (Nouvelles éditions Oswald) et quasi introuvable, j'ai pris mon courage à deux mains (et mon dictionnaire) pour faire la traduction de quelques nouvelles de cet auteur incontournable d'histoires de fantômes que j'admire depuis toujours.

J'espère que ces humbles traductions vous satisferont, les textes originaux en anglais se retrouvent facilement sur le net, M.R.James étant encore très populaire dans son pays d'origine.

 

 

                       UN AVERTISSEMENT AUX CURIEUX

 


L’endroit de la côte Est de l’Angleterre où se déroule cette histoire se nomme Seaburgh, il n’a pas beaucoup changé par rapport à mes souvenirs d’enfance.

Des marais au sud entrecoupés de digues rappelant les premiers chapitres de  Great expectations, des champs plats au nord et un mélange de lande, de bruyères, de bois de pins et surtout d’ajoncs à l’intérieur des terres.

Un large front de mer et une rue, une grande église de pierres avec, à l’ouest, sa tour carrée abritant un jeu de six cloches.

Je me souviens encore de leurs sons, ce chaud Dimanche d’Août, comme notre petit groupe cheminait lentement sur la route blanche de poussière vers l’église se dressant au sommet d’une élévation pentue.

Elles sonnaient avec un claquement sec dans l’air chaud et un son plus mélodieux quand l’air était doux.

La voie ferrée courait le long de cette même route pour aboutir à son terminus un peu plus loin.

Il y avait un moulin à vent blanc juste avant la gare, un autre près des galets à l’extrémité sud de la ville et un autre encore sur un terrain plus élevé au nord.

Il y avait des cottages de briques rouges aux toits d’ardoises………mais, inutile de vous encombrer l’esprit de détails des plus banals, le fait est, dès que je parle de Seaburgh, ils se bousculent à la pointe de mon crayon. J’aimerais vous certifier qu’ils sont tous véridiques mais rien n’est moins sûr.

Il faut pourtant que j’achève ma description de ce lieu : Partez du bord de mer, traversez la ville, passez la gare et tournez sur la route à droite.

C’est un chemin sablonneux, parallèle à la voie ferrée, qui monte vers une élévation de terrain. Sur votre gauche (vous allez maintenant vers le nord), de la bruyère.

Sur votre droite ( du coté de la mer), une bande de vieux pins battus par les vents, touffus au sommet, avec l’inclinaison caractéristique des arbres de bord de mer.

En les voyant depuis le train, vous savez aussitôt que vous approchez d’une côte venteuse.

Hé bien, au sommet de ma petite élévation, une ligne de ces pins court le long d’une crête vers la mer, celle-ci aboutit à un monticule bien défini surmonté d’une couronne de sapins et bordé par les champs d’herbe verte.

Il est plaisant de s’asseoir à cet endroit par une chaude journée de printemps pour contempler la mer bleue, les moulins blancs, les cottages rouges, l’herbe verte, la tour de l’église et la tour Martello se dessinant au loin plus au sud.

Comme je l’ai dit, j’ai connu Seaburgh enfant et un grand nombre d’années ont passé avant que j’y revienne.

Néanmoins, il garde une place en mon cœur et tout ce qui s’y rapporte m’intéresse : il se trouve que je rencontrais par hasard, dans un endroit éloigné de Seaburgh, un homme dont j’avais été l’obligé ce qui justifiait, à ses yeux, que je puisse devenir son confident.

« Je connais plus ou moins bien cet endroit » dit-il « J’avais l’habitude de venir y faire du golf au printemps. Je descendais généralement à « L’ours » avec un ami, Henry Long, vous le connaissez peut-être ?

« Un peu » répondis-je

« Nous avions l’habitude de louer un salon privé et en étions satisfaits. Depuis qu’il est mort, je n’ai pas voulu retourner là-bas, surtout après ce qui s’est passé à notre dernière visite. 

C’était en avril 19.., par chance, nous étions pratiquement les seuls occupants de l’hôtel. Les salles communes étaient presque vides aussi fûmes-nous surpris de voir s’ouvrir la porte de notre salon et un jeune homme y passer la tête.

Nous le connaissions de vue : un corps malingre, des cheveux blonds, des yeux clairs mais d’une compagnie agréable. Aussi, quand il demanda :

« Pardon messieurs, cette pièce est-elle réservée ? »

Nous avons répondu sans animosité : « Oui, elle l’est. », mais, Long ou moi je ne sais plus, l’avons quand même invité à entrer.

« Oh merci » dit-il et il semblait soulagé.

Bien-sûr, il était évident qu’il recherchait de la compagnie mais, comme c’était quelqu’un de plaisant, pas du genre à raconter ses histoires de familles, nous lui avons dit de faire comme chez lui.

« Je crains que les autres pièces ne soient bien mornes. » dis-je.

« Oui, en effet. C’est bien aimable à vous de m’accueillir ici. »

Ceci étant, il prit un livre. Long faisait une patience et je m’étais mis à écrire.

Il devint évident, au bout de quelques minutes, que notre visiteur était dans un état de nervosité et de bougeotte tel qu’il me le communiqua. Je rangeai donc mes papiers et me tournai vers lui pour engager la conversation.

Après quelques phrases d’usage dont j’ai oublié la teneur, il commença à se confier :

« Vous devez me trouver bien agité » commença t-il « mais, le fait est que j’ai subi un choc. »

Je commandai alors un remontant pour le fortifier. Le serveur en entrant interrompit la conversation (il me semble que le jeune homme sursauta quand la porte s’ouvrit) mais il reprit peu-après son récit : Il ne connaissait personne au village et, ayant appris que nous étions des familiers de l’endroit, il demanda si cela ne nous dérangeait pas de lui donner conseil.

« Pas du tout » avons-nous répondu. Long a rangé ses cartes et nous nous sommes installés pour l’écouter.

« Tout a commencé » dit-il « il y a une semaine. Je roulais à bicyclette vers Foston distant de 5 ou 6 miles pour voir son église. Je m’intéresse à l’architecture et elle possède un joli porche orné de niches et de blasons.

Je l’ai pris en photo et un vieil homme, qui s’occupait dans le cimetière voisin, est venu me demander si cela m’intéressait de visiter l’intérieur de l’église.

J’ai dit oui, il a donc déverrouillé la porte et m’a laissé entrer.

Il n’y avait rien de remarquable à l’intérieur, je lui ai dit que c’était une jolie église bien entretenue mais que la partie la plus intéressante était le porche.

Nous sommes ressorti et m’a répondu : « En effet, il est magnifique. Connaissez-vous la signification de ce blason là ? »

C’était un blason avec trois couronnes. Je ne suis pas féru d’héraldique mais j’ai été capable de lui dire qu’il s’agissait des armes de l’ancien royaume d’Angleterre.

« C’est exact Monsieur. Mais connaissez-vous la signification des trois couronnes qui s’y trouvent ? »

« La raison en est sûrement connue mais je n’en ai jamais entendu parler. »

« Eh bien Monsieur l’érudit, je peux donc vous apprendre quelque chose qui vous est inconnu : On dit que les trois couronnes saintes ont été enterrées dans le sol pour empêcher les Germains d’ envahir l’Angleterre.

Ah, je vois que vous êtes dubitatif ! Mais, je vous l’affirme, sans les saintes couronnes les Germains auraient débarqué ici maintes et maintes fois avec leurs bateaux et auraient tué hommes, femmes et enfants dans leurs lits. C’est la vérité et si vous en doutez, demandez au pasteur, il arrive, il vous le confirmera. »

Je me retournais et vis le pasteur, un beau vieillard, venir vers nous par le chemin avant d’avoir pu répondre au vieil homme de plus en plus excité que je le croyais.

Arrivé près de nous, il dit : « Que se passe t-il John ? ; Bonjour Monsieur. Avez-vous jeté un coup d’œil sur notre petite église ? »

Il dit quelques mots au vieil homme qui se calma et lui demanda la cause de son énervement.

« Oh, rien de grave ! J’expliquais à Monsieur la signification des trois couronnes. »

« Ah oui, bien-sûr. C’est un sujet curieux mais je doute que Monsieur soit intéressé par nos vieilles histoires, n’est-ce pas ? »

« Oh, il va vite être intéressé et vous croira quand il saura que vous avez connu William Ager père et fils. »

Je dis alors que j’étais curieux d’en entendre davantage si bien que, quelques minutes plus tard, je cheminais dans la rue principale en compagnie du recteur qui avait encore quelques visites à faire à ses paroissiens puis, nous arrivâmes à sa cure où il me fit entrer dans son bureau.

Il s’était rendu compte en chemin que j’avais un réel intérêt historique pour le folklore et pas une simple curiosité passagère.

Il était donc tout à fait disposé à m’en parler et je trouvais surprenant que cette légende locale ne fût pas plus connue et éditée.

Voici ce qu’il me conta :

« Il y a une croyance qui s’est transmise dans cette région à propos des trois couronnes saintes. Les anciens disent qu’elles ont été enterrées dans des endroits différents près des côtes afin de repousser les Danois, les Français et les Germains.

Ils racontent que l’une a été déterrée il y a bien longtemps, l’autre a disparu du fait de l’empiétement de la mer sur la côte et qu’il n’en reste plus qu’une pour écarter les envahisseurs.

Hé bien, si vous avez consulté les guides historiques locaux, vous savez peut-être qu’en 1687 une couronne, qui a été nommé couronne de REDWALD roi des angles de l’Est, a été déterrée à Rendlesham et a, trois fois hélas, été fondue avant même d’avoir été décrite ou dessinée.

Bien-sûr, Rendlesham n’est pas à proprement parlé sur la côte mais n’en est pas non plus très éloigné, de plus, il s’agit d’une voie d’accès importante.

Je pense qu’il s’agit de la couronne découverte dont parle la légende.

Je ne vous apprendrais pas qu’au sud se trouvait un palais royal Saxon qui a été englouti sous la mer, n’est-ce pas ? je gage que c’était l’emplacement de la deuxième couronne.

 Hé bien, il est dit qu’entre les deux est cachée la troisième couronne.

« Connais t-on l’emplacement exact ? » ai-je bien-sûr demandé.

« Oui, ils le savent mais ne le disent pas » a t-il répondu et le ton de sa réponse m’a dissuadé de poser la question qui me brûlait les lèvres.

Au lieu de cela, j’ai attendu un moment avant de demander : « Que voulez signifier le vieil homme quand il a dit que vous aviez connu William Ager ? Cela a t-il un rapport avec les trois couronnes ? »

« C’est certain » dit-il « encore une histoire curieuse. Ager est un nom très ancien dans cette région mais, je n’ai jamais découvert que l’un deux fût un riche propriétaire ou un homme de qualité.

Pourtant, ils disaient que la branche de leur famille était destinée  à être les gardiens de la dernière couronne.

Le vieux Nathaniel Ager fût le premier que je connu –je suis né et j’ai grandi près d’ici- et je crois qu’il a gardé l’emplacement durant la guerre de 1870. William, son fils, a fait de même pendant la guerre d’Afrique du sud.

Son jeune fils William, qui est mort récemment, a logé dans le cottage le plus proche de l’endroit. Il avait une santé fragile et il ne fait aucun doute que ses longues nuits de veille ont du hâter sa fin.

Il était le dernier de cette branche familiale, ce fût une douleur terrible pour lui de savoir qu’il n’y aurait personne pour lui succéder mais, que pouvait-il faire ?

Ses cousins ou d’autres membres de sa famille proche se trouvaient dans les colonies. J’ai écrit pour lui des lettres les suppliant de revenir pour une affaire de famille des plus importante mais, il n’y a eu aucune réponse.

Donc, la dernière des saintes couronnes, si elle est là, n’a plus de gardien maintenant. »

Voilà ce que m’a dit le pasteur et vous pensez bien que j’étais prodigieusement intéressé. Une question me taraudait alors que je le quittais : comment localiser l’endroit où elle était supposée être ?

Mais le destin a joué en ma faveur car, comme je pédalais le long du cimetière, j’aperçus une tombe récente portant le nom de William Ager que j’ai examiné.

Il y était inscrit : Né dans cette paroisse- mort à Seaburgh en 19--  à l’age de 28 ans –

Ainsi, c’était par ici ! Quelques judicieuses questions posées au bon endroit et j’arriverais à trouver le cottage d’où il avait surveillé l’emplacement.

Mais, où commencer l’interrogatoire ?

Là encore, le hasard a bien fait les choses : Il m’a amené dans ce magasin de curiosités au bas de la rue, vous voyez, je fouillais dans les livres quand j’ai trouvé un vieux missel datant de 1740 avec une assez belle reliure – je vais allé vous le chercher, il est dans ma chambre.

Il  nous a laissé là avec nos interrogations mais, à peine avions-nous eu le temps d’échanger quelques mots qu’il était de retour, haletant, et nous tendait un livre ouvert à la page de garde où était inscrit ces vers d’une main mal assurée :


Nathaniel Ager est mon nom et l’Angleterre est ma nation

Que le Christ protège Seaburgh, mon lieu d’habitation,

Quand je serai dans la tombe, mes os en poussière tombés

J’espère que le Seigneur pensera à moi quand tous m’auront oublié.


Ce poème datait de 1754, il y avait beaucoup d’autres inscriptions faites par les différents Ager : Nathaniel, Frederick, William et ainsi de suite jusqu’au dernier, William en 19--.

Vous voyez que la chance était avec moi, j’ai bien sûr demandé au boutiquier des renseignements sur William Ager, il se souvenait qu’il logeait dans un cottage situé au Nord et qu’il y mourut.

La route m’était donc toute tracée, je voyais de quel maison il s’agissait et il n’y en avait pas d’autre alentour.

L’étape suivante consistait à cuisiner les nouveaux locataires, je m’y rendis aussitôt. Je pus prendre contact grâce à un chien qui m’aboya et tenta de me mordre. S’en suivi les excuses de son maître avec qui j’engageais la conversation.

Je n’eus qu’à citer le nom d’Ager et faire comme si je le connaissais pour que la femme s’apitoie sur sa fin précoce et me dise qu’il passait la nuit dehors quelque soit le temps.

Je demandais : « Allait-il sur la mer la nuit ? »

« Oh non, il allait sur la colline là-bas, celle avec les arbres.

Je suis habitué à creuser des tumulus, j’en ai ouvert un certain nombre dans le bas pays mais, c’était avec l’accord du propriétaire, en plein jour et avec des hommes pour m’aider.

J’ai du étudier attentivement le terrain avant de passer à l’action. Je ne pouvais pas creuser à travers le monticule et tous ces vieux pins rendaient mon pillage malcommode.

Heureusement le sol était sablonneux et facile à travailler, il y avait un terrier de lapin qui pouvait être agrandi en une sorte de tunnel.

Il fallait que je trouve une excuse pour expliquer ma sortie nocturne de l’hôtel et mon retour à une heure indue. Une fois ma décision prise, j’ai dit que j’étais appelé dehors et j’y suis resté toute la nuit.

J’ai creusé mon tunnel, je vous épargne les détails sur la manière dont je l’ai étayé et comment je l’ai rebouché une fois terminé, le plus important est ceci :

J’ai trouvé la couronne ! »

Naturellement, nous avons poussé des exclamations de surprise et d’intérêt. Pour ma part, je connaissais depuis longtemps le sort de la couronne de Rendlesham et en était dépité. Personne de nos jours n’avait vu une couronne Anglo-Saxonne, du moins jusqu’à maintenant, pourtant, notre homme nous regardait d’un œil désabusé et dit :

« Oui » dit-il « et le pire c’est que je ne sais pas comment la remettre en place. »

« La remettre en place ! » avons-nous crié. « Mon cher Monsieur, vous avez mis au jour le trésor le plus précieux trouvé dans ce pays, il faut qu’il trouve sa place à la tour de Londres. Quel est le problème ? Si vous pensez au propriétaire du terrain et aux difficultés que vous pourriez avoir, nous sommes prêts à vous aider. Personne ne va engager de procédures à votre encontre pour un cas de ce genre. »


D’autres choses ont été dites encore mais, tout ce qu’il a fait, c’est mettre son visage entre ses mains et murmurer : « Je ne sais pas comment la remettre en place. »

A la fin, Long dit : « Excusez-moi si je vous semble impertinent mais, êtes-vous sûr que vous avez la véritable couronne ? »

Je dois dire que je me posais la même question depuis un moment car, quand on y réfléchissait,  tout cela ressemblait à un rêve un peu fou. Je n’avais pas osé le dire de peur de blesser la sensibilité du jeune homme.

Toutefois, il prit cela calmement, comme avec la tranquillité du désespoir.

Il se redressa et dit : « Oh oui, il n’y a pas de doute ! Je l’ai ici dans ma chambre, enfermée dans mon sac. Vous pouvez venir la voir si vous voulez, je ne voudrais pas l’apporter ici. »

Nous ne voulions pas laisser passer une telle occasion, nous sommes allés avec lui dans sa chambre qui était seulement à quelques portes.

Le cireur venait juste de ramasser les chaussures dans le couloir, du moins le pensions-nous. Peu-après, nous n’en étions plus aussi sûrs.

Le jeune homme, dont le nom est Paxton, était dans un état de fébrilité pire qu’auparavant. Il s’est précipité dans sa chambre, nous a fait signe de le suivre, a allumé la lumière et a fermé rapidement la porte.

Il a ouvert son sac et en a sorti un paquet fait de mouchoirs propres dans lesquels était enveloppé quelque chose. Il le posa sur le lit et le déballât.

Je peux dire maintenant que j’ai vu une authentique couronne Anglo-Saxonne.

Elle était en argent, comme devait l’être celle de Rendlesham d’après la tradition, et possédait quelques gemmes, d’antiques entailles et camées. D’un aspect sobre, sa finition était presque brute.

En fait, elle était identique aux représentation que l’on trouve sur les monnaies et les manuscrits, je n’ai trouvé aucune raison me faisant penser qu’elle était postérieure au neuvième siècle.

J’étais vivement intéressé, bien sûr, et j’aurais voulu la prendre dans mes mains mais Paxton m’en a empêché.

« N’y touchez-pas » dit-il « je vais le faire pour vous. »

Et avec un soupir de désolation terrible à entendre, il l’a tourné pour que nous puissions en voir chaque partie.

« Assez-vu ? » a demandé Paxton et nous avons acquiescé. Il l’a enveloppé et enfermé dans son sac et nous a regardé béatement.

« Revenez dans notre chambre » a dit Long « et expliquez-nous ce qui vous trouble. »

Il nous remercia et demanda : « Voulez-vous aller vérifier si la voie est libre. »

Cela semblait un peu exagéré, après tout nous avions été discrets et l’hôtel, comme je l’ai dit, était presque vide.

Toutefois nous commencions à nous sentir troublés, sa nervosité devenant contagieuse.

Au premier coup d’œil risqué dans le couloir, nous avons crû voir passé devant nous une ombre ou peut-être plus qu’une ombre mais sans aucun bruit.

« Allons-y » nous a chuchoté Paxton et nous sommes retournés dans le salon.

Je m’apprêtais à m’extasier sur ce que nous avions vu mais, en regardant la tête de Paxton, j’ai pensé que ce serait déplacé et je me suis tu.

« Que faut-il faire ? » furent ses premiers mots.

Long, comme il me le dit par la suite, le trouva obtus en proie à la même idée fixe. Il lui dit : « Pourquoi ne pas découvrir le propriétaire du terrain et l’informer ? »

« Oh non, non ! » répondit avec impatience Paxton. « Je vous demande pardon, vous êtes si gentil avec moi, vous ne vous en rendez pas compte mais elle doit à tout prix retrouver sa place d’origine. Je n’ose pas y retourner la nuit et en plein jour, c’est impossible. Peut-être ne le voyez-vous pas mais la vérité est que je n’ai plus été seul depuis que je l’ai touché. »

Je commençais à formuler quelques remarques assez stupides mais Long a attiré mon regard et j’ai stoppé net.

Long lui a dit : « Je crois commencer à comprendre de quoi il s’agit mais, cela vous soulagerez de nous exposer clairement la situation. »

Tout est sorti d’un trait. Paxton a regardé par dessus son épaule, nous a fait signe d’approcher et a parlé à voix basse. Nous avons écouté avec beaucoup d’attention, voilà, d’après mes notes, ce qu’il a dit presque mot pour mot :

« Cela a commencé dès la première fois où j’ai inspecté l’endroit et cela n’a plus cessé depuis : Il y avait toujours quelqu’un – un homme – debout près d’un sapin à m’observer, c’était en plein jour, vous savez.

Il n’a jamais été face à moi, je l’ai toujours aperçu du coin de l’œil à droite ou à gauche mais, dès que je tournais la tête pour le regarder en face, il n’était plus là.

Je m’allongeais pour scruter les environs minutieusement, une fois certain qu’il n’y avait plus personne je me relevais et regardais : il était à nouveau là.

Puis il a commencé à m’envoyer des avertissements : quelque soit l’endroit où je laissais le livre de prière avec les pages fermées, dès mon retour dans la chambre je le retrouvais ouvert sur la table à la page de garde où sont inscrits les noms avec mon rasoir posé en travers.

Je suis sûr qu’il ne peut ouvrir mon sac sans quoi quelque chose d’autre serait arrivée. Il est léger et faible voyez-vous mais, tout de même, je n’ose lui faire face.

Bien sûr, quand je faisais le tunnel c’était pire et si je n’avais pas été aussi enragé, j’aurais tout abandonné pour partir en courant.

C’était comme si quelqu’un me frôlait le dos continuellement. J’ai d’abord pensé que de la terre retombait sur moi mais, comme je me rapprochais de la couronne, il n’y eu plus de doute possible : quand je l’ai effectivement mise à nu et que j’ai passé mon doigt dans l’anneau pour la dégager, une sorte de cri a retenti derrière moi, plein de désolation et de menace, cela a gâché le plaisir de ma découverte et toute mon euphorie est retombée.

Si je n’avais pas été un misérable, j’aurais laissé cette chose et tout remis en place mais je ne l’ai pas fait.

Le reste du temps a été tout simplement terrible, j’avais des heures à attendre avant de pouvoir décemment regagner l’hôtel. J’ai commencé par reboucher le tunnel et effacer toute trace de mon passage, il était là tout le temps à essayer de me contrarier. Parfois vous le voyez et parfois non, mais il est bien là. Il a un certain pouvoir sur vos yeux et se laisse voir comme il lui plait.

J’ai quitté l’endroit juste avant le lever du jour pour rejoindre la jonction pour Seaburgh et prendre le train.

Le soleil s’est levé sur une belle journée mais cela n’a pas changé grand chose. Il y avait des haies ou des bruyères tout le long de la route qui formaient un écran et je me suis toujours senti mal à l’aise.

J’ai commencé à rencontrer des gens partant au travail, ils regardaient dans ma direction d’une manière étrange. Ils auraient pu être surpris de voir quelqu’un de si bon matin mais je ne pense pas que cela en soit la raison, en fait, ils avaient l’air de regarder juste derrière moi.

Le portier du train a également eu une attitude surprenante : une fois monté dans le wagon, il a gardé la porte ouverte comme pour laisser entrer quelqu’un d’autre. »

« Oh, vous pouvez être sûr que ce n’est pas mon imagination » a t-il dit avec un rire sourd puis il a repris : « Eh même si je la remets en place, il ne me pardonnera pas, j’en suis persuadé. Dire que j’étais encore si heureux il y a quelques jours. »

Il s’est avachi sur sa chaise et je crois qu’il a commencé à pleurer.

Rédigé par Kako's World

Publié dans #Montague Rhodes James

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